2500 ans avant le cinéma
par Pierre Fresnault-Deruelle
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
Un ukiyo-é occidental
Cet inaudible cri qui nous assaille
Préséances
Le cubo-futurisme jazzy de Demuth
L’esprit des salons
L'embrasure fait le spectacle
Un balcon sur la mer
La cécité d’Holopherne
Lamento
Contrepoint
Photographie peinte
Une vaste salle d’attente
Une impassabilité de façade
Le grand absent
Cette jambe qui dépasse
Un éloge en forme d’ "icone"
Le gandin mélancolique
La couleur du temps
La diagonale
L’instant qui conte
Pas la vue, la vision : l’entrevision même
La laideur n’est pas inéluctable
Le mur ou la peinture séparée d’avec elle-même
L'immobile intranquillité de Jésus
Bacchanales
La conjoncture, forme supérieure de la conjonction
L'oeil du diadème
Du physique au méta-physique
La Loire
La barque bien menée
La réinvention de Gradiva
Le bout du monde
L’ange, comme en retrait
Le spectacle est aussi dans la salle
D’impassibles machines
Le surréalisme souriant de René Rimbert
La pesanteur et la grâce
Chambre avec vue sur rien
Surprise
Abscisses et ordonnées
Le bout du monde
Le testament d'Orphée
Ligéria ou le lit du fleuve
Soleil noir
Algorithme
Basse tension
Un tableau vivant
La lune décrochée
La pesanteur et la grâce
Une bien profane icône
Une carte postale avant la lettre
Austère et jubilatoire
Le noeud rose
Entre-deux
Le mille-têtes
Le livre qui tombe
L'étendue du désastre
2500 ans avant le cinéma
par Pierre Fresnault-Deruelle
Peint sur le fond de cette coupe à boire, un jeune garçon, au corps singulièrement disposé, se donne de profil pour ce qui est de la tête et des jambes, et de face pour ce qui relève du torse. Il danse, en se dirigeant de gauche à droite. Mais, ce faisant, il regarde derrière lui.
Cette figure rouge sur fond noir, datant du VI°s avant notre ère, est contenue, tout entière, dans un cercle, ce qui explique peut-être la flexion des bras et des jambes (par contraste, on songe à l’homme de Vitruve, tel que l’a campé Léonard). La disposition des quatre membres obéit à un ordre qui rappelle la structure tournoyante des frises qu’on appelle « grecques » et qui symbolisaient les cycles de la nature( voyez encore la svastika sur le détail de céramique). Bref, Il y a de la roue dans cette composition où bras et jambes réalisent à peu de chose près la quadrature d’un cercle.
Il danse et tourne, ce garçon au corps bien découplé, comme pouvait tourner ce vase à boire dans la main de qui le tenait.
On sait que l’artisan qui a peint cette céramique ne fit que reprendre un stéréotype bien établi parmi les gens de sa corporation. Mais cette figurine témoigne aussi de ce que peindre veut dire : à savoir tracer des figures dont la fixité porterait en elle l’idée du mouvement qu’elle est pourtant incapable de reproduire. Ce garçon, qui s’agite, est l’émouvant témoignage de ce rêve auquel, longtemps avant l’invention du cinéma, les théâtres d’ombres, seuls, donnèrent quelque consistance.
La mise en relation des formes et de leurs supports est une des directions suivie par l’histoire de l’art depuis longtemps. « L’économie décorative » des images est-elle ainsi intimement associée à la narration figurative véhiculée par les grotesques, les bandes dessinées, les éventails, les bas reliefs, etc.
Auteur : Pierre Fresnault-Deruelle