Soleil noir
par Pierre Fresnault-Deruelle
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
Un ukiyo-é occidental
Cet inaudible cri qui nous assaille
Préséances
Le cubo-futurisme jazzy de Demuth
L’esprit des salons
L'embrasure fait le spectacle
Un balcon sur la mer
La cécité d’Holopherne
Lamento
Contrepoint
Photographie peinte
Une vaste salle d’attente
Une impassabilité de façade
Le grand absent
Cette jambe qui dépasse
Un éloge en forme d’ "icone"
Le gandin mélancolique
La couleur du temps
La diagonale
L’instant qui conte
Pas la vue, la vision : l’entrevision même
La laideur n’est pas inéluctable
Le mur ou la peinture séparée d’avec elle-même
L'immobile intranquillité de Jésus
Bacchanales
La conjoncture, forme supérieure de la conjonction
L'oeil du diadème
Du physique au méta-physique
La Loire
La barque bien menée
La réinvention de Gradiva
Le bout du monde
L’ange, comme en retrait
Le spectacle est aussi dans la salle
D’impassibles machines
Le surréalisme souriant de René Rimbert
La pesanteur et la grâce
Chambre avec vue sur rien
Surprise
Abscisses et ordonnées
Le bout du monde
Le testament d'Orphée
Ligéria ou le lit du fleuve
Algorithme
Basse tension
Un tableau vivant
2500 ans avant le cinéma
La lune décrochée
La pesanteur et la grâce
Une bien profane icône
Une carte postale avant la lettre
Austère et jubilatoire
Le noeud rose
Entre-deux
Le mille-têtes
Le livre qui tombe
L'étendue du désastre
Soleil noir
par Pierre Fresnault-Deruelle
David Johnston peint Altar to the Sun en 1969. Bien qu’abstraite, cette toile justifie cependant son titre : la construction pyramidale qu’on peut voir n’est pas sans lien avec les édifices religieux méso-américains voués à l’astre du jour. On songe, pour ne citer que lui, au sanctuaire principal de Téotihuacàn. Malgré tout, l’arbitraire règne en maître dans cette composition. Ainsi, le ciel est-il noir, qui devrait interdire la formidable phosphorescence de la maçonnerie que l’artiste a brossée. Cet autel, comme fait d’énormes blocs de métal portés au rouge, est solaire en soi qui contraste étrangement avec la nuit d’encre qui lui sert de fond. Difficile, à cet égard, de voir seulement dans la plage sombre qui domine le monument le substrat étale sur lequel seraient venus se distribuer (et se recouvrir partiellement) ces chauds aplats d’écarlate, de jaune et de vermillon. Ces somptueux mais inquiétants éclats disent le rougeoiement d’un temps barbare comme ils disent l’atrocité du culte sanglant des Mexicains tâchant, jour après jour, de retarder la venue définitive des ténèbres.
On objectera que le peintre était, sans doute, à mille lieues des conjectures auxquelles on se livre ici ; et que des considérations plastiques comme le fait d’oser étaler du noir au dessus d’un ensemble déjà « haut en couleurs » retenaient au premier chef son attention. Un artiste est avant tout hanté par des problèmes de formes et de couleurs, même s’il se trouve que les solutions qu’il apporte débouchent sur des appréciations symboliques. Le titre Altar to the Sunen est, au reste, la preuve.
Le titre de cette toile, nom particulièrement approprié a l’œuvre, n’est venu – on le sait – qu’après coup : c’est-à-dire à ce moment où, s’étant fait spectateur de son propre travail, le peintre s’est aperçu qu’il avait exhumé l’« l’hypo image » qu’on vient d’évoquer. En bref, même dans le cas où Johnston n’aurait pas baptisé sa toile, cette dernière ne s’en serait pas moins offerte comme un paysage grave et grandiose. La masse architecturée de ce téocalli atteint, de fait, au sublime dans la mesure où le format du tableau (sorte de cadre d’intellection) se voit débordé par les proportions de l’objet représenté. Ainsi tronquée, la pyramide de l’artiste semble-t-elle relever d’une approche plus phénoménologique que morphologique : outrepassant les limites du subjectile, elle est, à la lettre, incommensurable. Ajoutons qu’au sublime s’ajoute la terribilità du sujet qui, malgré sa vertu solaire, relève de quelque Noche triste.
Quoi qu’on en ait, cependant, ce tableau géométrique abstrait reste une œuvre ouverte : la lecture qu’on vient d’en faire (initiée certes par son titre) aurait pu être tout autre : une ode à l’irrépressible montée en puissance de la lumière, par exemple. Ou un hommage, fût-il involontaire, à William Blake.
Auteur : Pierre Fresnault-Deruelle