Your browser does not support JavaScript!
Logo Mucri
↑
Faire une recherche dans le site Mucri
Logo Mucri
  • Accueil
  • À propos
  • Contribuer

L’origine de l’être

par Christophe Genin

L’origine de l’être
  • Titre de l'oeuvre: Accouchement
  • Artiste: Pablo Pérez Hornborg
  • Date: 1990
  • Type: Encre sur papier
  • Dimension: 100 x 65 cm
  • Localisation: Collection particulière
  • Crédit de l'image: ©Pablo Pérez Hornborg, par courtoisie de l’auteur

BIOGRAPHIE

Christophe Genin est professeur de philosophie de l'art et de la culture à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il dirige le MUCRI, une revue en ligne d'analyse d'oeuvres (peinture, sculpture, installation, photographie, bande dessinée). Il s'intéresse au graffiti et au street art depuis 1985, et a rédigé de nombreux articles et ouvrages sur ce sujet, notamment Miss. Tic, femme de l'être(Impressions Nouvelles, 2008, rééd. 2014) et Le street art au tournant (Impressions Nouvelles, 2013, rééd. 2016).

PAR LE MêME AUTEUR

La perpendiculaire et le niveau

La baigneuse vêtue ou le temps suspendu

Femme et artiste

Toi et moi

Aphrodite enceinte

Vertiges de l'abîme

Les sentinelles de la fraternité

L'image revendiquée

La couvade d’un dieu

Une culture occulte et occultée

Un sexe équivoque

2D ou 3D ?

La figure réversible

Consistance de l’intervalle

Du désir de soi

La culture souterraine

De l’art du vide

La putain respectueuse

Jésus croyait au diable

L'esprit du pinceau

Aller retour

L’origine de l’être

par Christophe Genin


Ce blason du corps féminin est le fort bel hommage qu’un homme rend à une femme. Et cette œuvre de Pérez-Hornborg est exceptionnelle à plus d’un titre.

D’abord par ses qualités plastiques. À la manière d’un Rodin ou d’un Schiele, le peintre semble mutiler son modèle, en omettant la tête et les pieds, pour concentrer le regard du spectateur sur l’espace et le temps d’un mouvement à l’œuvre, sur la pulsation même de la vie. Sur son champ de travail, marbré du sang et des humeurs placentaires, la mère, le corps disloqué par l’expression de l’Autre en elle, a le corps veiné des mille lignes de force qui la traversent. Les jambes posées sur les étriers, le tronc chaviré par la douleur, repliée sur elle-même, la femme donne la vie, et un même axe relie sa matrice dilatée à son sein déjà gonflé de lait nourricier.

Ensuite par la transgression des limites de la représentabilité. Des scènes d’accouchement sont occasionnellement représentées dans les cultures égyptienne antique, africaines, et sud-américaines, mais l’Occident judéo-chrétien et gréco-romain s’y est longuement refusé. S’il a bien figuré la femme enceinte, la nativité ou l’allaitement, en revanche le geste même de la mise au monde fut tabou, y compris dans les planches d’anatomie ou les manuels d’obstétrique qui, fort souvent, dépeignaient des grossesses et des expulsions en coupe mais non in vivo.

Ce tabou mêle plusieurs motifs probables. En premier lieu, l’interdit de la sexualité, et plus encore l’occultation du sexe féminin, rendus coupables d’une faute première. En second lieu, la peur du sang. L’expulsion du foetus se fait souvent dans la déchirure du corps, dans la blessure, le sang matriciel et placentaire. Tout accouchement, fût-il le plus sûr, reste risqué pour la mère et l’enfant, liés dans un don de la vie qui peut-être cause de mort. La superstition, en troisième lieu, croit que taire un risque nous en épargne le malheur. C’est peut-être pourquoi populairement, on n’annonce une grossesse qu’à partir du troisième mois, pour conjurer la fausse couche, et qu’on ne montre pas l’expulsion, pour conjurer le « mauvais œil ».

Ainsi, quand les représentations de l’accouchement montrent soit un événement « propre » soit l’enfant déjà sorti, elles dissimulent en fait le travail même de la mère. Au contraire, Pablo Pérez-Hornborg ose exposer l’accouchement comme un processus en cours, dans la désarticulation qui précède l’ordre du vivant. Il met sur le devant de la scène le jeu des viscères. Il exhibe ce sexe et ce sein qu’on ne saurait voir, puisque ce sont eux-mêmes qui nous donnèrent la vue, puisqu’ils sont notre origine inimaginable. La vulve dilatée à l’extrême, les lèvres ouvertes par l’épisiotomie, le corps de la mère est tout entier offrande, œuvre de don, et la tête de l’enfant point du fond de la matrice obscure. À la liquéfaction du corps maternel et, par extrapolation, du maigre décor, traduit par les lavis bouillonnants et mêlés des encres, s’oppose la raide broussaille de la matrice que doit franchir l’enfant en effort.

Sans cette fausse pudeur qui cache l’origine de la vie, et sans l’obscénité qui en est le corrélat, le peintre retient cet instant fugace de l’entre-deux, où l’enfant toujours dedans est déjà projeté au monde, encore partie prenante et bientôt un autre à part entière. Cette mise au monde n’est pas un fait anodin. Elle est pour le nouveau venant la possibilité d’être envisagé, c’est-à-dire d’exister dans la dimension du regard.

Auteur : Christophe Genin

BIOGRAPHIE

Christophe Genin est professeur de philosophie de l'art et de la culture à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il dirige le MUCRI, une revue en ligne d'analyse d'oeuvres (peinture, sculpture, installation, photographie, bande dessinée). Il s'intéresse au graffiti et au street art depuis 1985, et a rédigé de nombreux articles et ouvrages sur ce sujet, notamment Miss. Tic, femme de l'être(Impressions Nouvelles, 2008, rééd. 2014) et Le street art au tournant (Impressions Nouvelles, 2013, rééd. 2016).

PAR LE MêME AUTEUR

La perpendiculaire et le niveau

La baigneuse vêtue ou le temps suspendu

Femme et artiste

Toi et moi

Aphrodite enceinte

Vertiges de l'abîme

Les sentinelles de la fraternité

L'image revendiquée

La couvade d’un dieu

Une culture occulte et occultée

Un sexe équivoque

2D ou 3D ?

La figure réversible

Consistance de l’intervalle

Du désir de soi

La culture souterraine

De l’art du vide

La putain respectueuse

Jésus croyait au diable

L'esprit du pinceau

Aller retour

ARTICLES CONNEXES

Aller retour

Vertiges de l’abîme

L’esprit du pinceau

L’étendue du désastre

Le livre qui tombe

Le mille-têtes

Entre-deux

Le noeud rose

Austère et jubilatoire

Une carte postale avant la lettre

Une bien profane icône

La pesanteur et la grâce

La lune décrochée

2500 ans avant le cinéma

Un tableau vivant

Basse tension

Algorithme

Soleil noir

Ligéria ou le lit du fleuve

Le testament d’Orphée

MUCRI

Université Paris 1, UFR 04,
53 rue des Bergers,
75015 Paris
Plan du site

  • Plan du site
  • Mentions légales
  • Crédits
  • Univ. Paris 1
  • MMI