Les sentinelles de la fraternité
par Christophe Genin
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
La perpendiculaire et le niveau
La baigneuse vêtue ou le temps suspendu
Femme et artiste
Toi et moi
Aphrodite enceinte
Vertiges de l'abîme
L'image revendiquée
La couvade d’un dieu
Une culture occulte et occultée
L’origine de l’être
Un sexe équivoque
2D ou 3D ?
La figure réversible
Consistance de l’intervalle
Du désir de soi
La culture souterraine
De l’art du vide
La putain respectueuse
Jésus croyait au diable
L'esprit du pinceau
Aller retour
Les sentinelles de la fraternité
par Christophe Genin
La sombre ironie de l’histoire a voulu que certains camps de la mort portassent des noms bucoliques comme Buchenwald, la forêt de hêtres, ou Birkenau, le bois de bouleaux. C’est ainsi au cœur d’une boulaie que Christian Lapie a installé un mémorial de la déportation des Juifs des Hauts de Seine, inversant les signes de l’histoire puisque la forêt, qui pouvait être un non-lieu d’anéantissement sans trace aucune (Vernichtung), devient un lieu de mémoire hanté par les fantômes des disparus.
Ces figures sont orientées dans toutes les directions des quatre points cardinaux, disposées le long d’un chemin de mémoire. Elles sont réellement placées in situ, de sorte que, quel que soit le point de vue par lequel nous abordons ce groupe de statues, l’une d’entre elles, placée en sentinelle, nous observe et nous accueille. L’espace de l’installation est à la fois clos et ouvert. Clos par la délimitation que forme la répartition des statues ; ouvert par l’espace de circulation entre elles et par leurs orientations variées.
Le travail de la fonte de fer donne une puissance symbolique à ces figures. Elles semblent être des silhouettes de corps calcinés, sans visage, sans membre, formes génériques issues de quelques funèbres hauts fourneaux et perdues dans l’anonymat de l’assassinat industriel. Placés au cœur d’une clairière, leurs corps striés comme des troncs d’arbres font de ces stèles anthropomorphes les totems de l’intemporelle humanité fondue à une nature accueillante.
Cette œuvre monumentale et in situ, présente douze figures, organisées en deux groupes, l’un de sept personnages, l’autre de cinq. Ces nombres sont choisis à dessein. Douze figures comme les douze fils de Jacob, fondateurs des douze tribus d’Israël. Sept d’entre elles forment un groupe compact, de taille surhumaine, sept étant le chiffre de la Création achevée et parfaite. Elles s’érigent d’un lit de pierres et des pupitres où sont inscrits les noms des déportés, semblant soulever des dalles funéraires, figures géantes qui sont les vigies de l’Eternel. Cinq autres personnages, de taille humaine, forment un réseau qui veille sur les autres, représentant les Justes (1) prêts à porter portent assistance, cinq étant le chiffre de l’homme.
Ces statues-colonnes sont l’affirmation d’une humanité debout, redressée, là où tout fut fait pour la mettre à terre. Le pupitre des étoiles est ainsi une œuvre prise entre terre et ciel, entre les étoiles jaunes de l’infamie, cousues sur les vêtements, et les innombrables astres qui peuplent le firmament, entre la misanthropie la plus meurtrière et la loi morale en moi.
(1) Ce terme provient de la tradition biblique et talmudique. Il fut adopté en 1953 par une loi de la Knesset sur la commémoration des martyrs et des héros de la Shoah par l’Institut Yad Vashem à Jérusalem, définissant ceux qui ont risqué leur vie pour venir en aide à des Juifs comme étant: « les Justes parmi les Nations ».
Auteur : Christophe Genin