Le crystal Palace
par Jean Arrouye
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
Le sablier
Retour de Cythère
La porte
Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa
Un manifeste de la modernité
Un retable très rhétorique
De nulle part
Intérieur de manoir
Une allégorie réaliste
Edward Steichen
Bord de Seine
Rue à Rome
"Le docteur Péan opérant à l'hôpital Saint-Louis"
Un bouquet
Paysage anti-orientaliste
Un enchantement chromatique
L'échiquier de la vie
La chapelle des capucins
À voir et entendre
Photo de famille
La musique de Cézanne
Le dessin et la couleur ne sont pas distincts
Le ruisseau ironique
Violences imaginaires
Un volcan de rêve
Parodie
Donner à voir le silence
Eruption du Vésuve
Le crystal Palace
par Jean Arrouye
Quand il vivait en exil en Angleterre Emile Zola alla voir le Crystal Palace, immense bâtiment de fer et de verre qui avait été construit pour l’exposition universelle de 1851 et, en 1854, démonté et remonté à Sydenham, au sud de Londres. Il en fit naturellement des photographies, ainsi que de scènes de rues observées dans son voisinage. L’une d’elles est particulièrement remarquable par son organisation ou, pour le dire en songeant à la façon dont elle fut prise, par le choix par Zola du moment opportun et du juste point de vue permettant d’articuler les deux principaux constituants de la photographie : au premier plan un corbillard qui est une caisse de verre tirée par quatre chevaux, à l’arrière-plan la grande silhouette gris argenté du Crystal Palace, rythmé par les arceaux de fer qui soutiennent ses parois de verre. La photographie est cadrée de sorte que l’on voit dans son entier le corbillard et son attelage ; elle est prise sous un angle tel que, dans le parcours du cliché par le regard, qui se fait de gauche à droite, comme le plus souvent, par habitude culturelle et ici, de plus, par raison d’accompagnement imaginaire du corbillard dans son déplacement, c’est au moment où la caisse de verre du corbillard a été vue en entier que le Crystal Palace se dresse au fond de l’image. Leur succession, l’enchaînement de leurs masses horizontales, fait découvrir une profonde analogie entre les deux objets, tous deux contenants de verre, l’un destiné à recevoir temporairement la dépouille d’une personne à qui l’on va rendre un dernier hommage, l’autre à abriter provisoirement, le temps d’une exposition, les productions d’une époque que l’on célèbre. L’apparentement des deux objets est favorisé par le fait que les trois silhouettes – trois comme les Parques – noires et verticales des employés des pompes funèbres assis sur l’avant du corbillard sont situées au lieu de passage visuel du corbillard au palace, les articulant l’un à l’autre. Par une sorte de renversement de l’habituelle sujétion des objets aux personnes, celles-ci, toutes trois vêtues de même et transportées du même pas par le corbillard, semblent être les attributs du véhicule funéraire et n’être présents sur l’image que pour favoriser le transport, non pas réel, d’un mort, mais iconique, du grand vaisseau de verre et de fer échoué dans la banlieue londonienne, construit pour célébrer les accomplissements d’une époque, mais qui se métaphorise sous nos yeux en une figure de vanité.
Auteur : Jean Arrouye