Eruption du Vésuve
par Jean Arrouye
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
Le sablier
Retour de Cythère
La porte
Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa
Un manifeste de la modernité
Un retable très rhétorique
De nulle part
Intérieur de manoir
Une allégorie réaliste
Edward Steichen
Bord de Seine
Le crystal Palace
Rue à Rome
"Le docteur Péan opérant à l'hôpital Saint-Louis"
Un bouquet
Paysage anti-orientaliste
Un enchantement chromatique
L'échiquier de la vie
La chapelle des capucins
À voir et entendre
Photo de famille
La musique de Cézanne
Le dessin et la couleur ne sont pas distincts
Le ruisseau ironique
Violences imaginaires
Un volcan de rêve
Parodie
Donner à voir le silence
Eruption du Vésuve
par Jean Arrouye
Au XVIII°s., pendant lequel de nombreuses éruptions se produisent, la représentation de ce phénomène devient un sujet très apprécié, peint par des peintres de toutes nationalités, marqués par la théorie du sublime de l’anglais Edmund Burke pour qui le fondement du sentiment du sublime est la terreur éprouvée devant un spectacle qui dépasse l’imagination. Pierre Henri de Valenciennes (1750-1819), théoricien du paysage historique, peint à son tour une éruption, mais, conformément au genre qu’il défend, les manifestations effrayantes de la nature n’y sont que le cadre d’un événement historique, la mort de Pline.
Le sujet est emprunté à Pline le Jeune qui dans deux lettres célèbres adressées à Tacite en 104 raconte l’éruption du Vésuve ensevelissant, en 79, Herculanum, Pompéi et Stabies. Témoin du cataclysme à l’âge de 18 ans, Pline, dans sa première lettre, narre la mort de son oncle Pline l’Ancien, amiral de l’escadre de Méditerranée, qui, soucieux d’observer l’événement de près, avait appareillé de Misène, au sud de Naples, pour Stabies où il fut asphyxié par des gaz toxiques, victime, précise Pline le Jeune de « son zèle pour la science ».
L’œuvre de Valenciennes respecte scrupuleusement les indications du récit de Pline le Jeune. On voit la baie de Stabies que l’écrivain qualifie de « petit golfe formé par la courbure insensible du paysage », les navires de guerre avec lesquels Pline l’Ancien était venu, « les maisons chancelant à la suite de fréquents et importants tremblements de terre » – et certaines déjà à bas- « les pierres ponces/dont on craignait la chute ». Ne manquent que « les oreillers » que, rapporte l’épistolier, Pline et ses compagnons s’étaient attachés avec des linges « sur leur tête » pour leur servir de protection contre ce qui tombait ». C’est que, sans doute un tel accoutrement eût nui à la dignité du grand homme.
Cependant, dans cette représentation archéologique de la mort de Pline le paysage n’est pas simplement le décor du drame figuré.Le volcan en devient l’un des protagonistes, et le plus important.C’est lui qui cause la mort de Pline. Valenciennes soigne son apparence, ou plutôt son apparition, entre nuées blanchâtres (dont l’une joint la montagne à sa victime, donnant ainsi force d’évidence à la raison de la mort de Pline) et nuages noirs aux découpes monstrueuses. L’embrasement de la montagne remplit le ciel d’un intense rougeoiement, colore chaudement tous les éléments : le feu qui jaillit, l’air qui noircit, la terre qui frémit, l’eau qui s’agite. L’incommensurabilité de la violence de la nature et de la faiblesse de l’homme est frappante.
Ce tableau peut encore être considéré, conformément à une longue tradition, comme une leçon de vanité. Mais pour une telle leçon, convenue, il n’était nul besoin de traiter si horriblement et splendidement le ciel, ni d’organiser cet affrontement fantastique de nuages aux mufles de bestiaux au-dessus du volcan qui semble, lui aussi, une bête dressant la tête et crachant le feu de sa gueule de biais. La magnificence du traitement des volutes ténébreuses des nuages et du jaillissement ardent du feu suscite un sentiment d’admiration devant la terrible beauté de la nature, qui l’emporte sur le sentiment d’humilité devant la faiblesse de l’homme. La jouissance esthétique fait oublier la leçon morale… C’est que le spectacle de la terre, qui se déchire et du feu issu d’abymes inconnaissables et projeté en plein ciel, de la pierre changée en lave liquide et du feu qui dévalent les pentes comme de l’eau, ressortit au sublime terrifiant qui émeut la sensibilité et exalte l’imagination.
Du coup, le sens de l’aventure mortelle de Pline en est changé. Celui-ci apparaît moins comme un héros de science que comme un quêteur d’émotions hors du commun. Amateur de connaissances, Pline n’a pu que mourir frustré devant le comportement incompréhensible pour lui de la nature. Mais, amateur de spectacles, il n’a pu qu’être comblé par la démesure du bouleversement des éléments. Il faut désormais imaginer Pline mourant heureux.
Auteur : Jean Arrouye