2D ou 3D ?
par Christophe Genin
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
La perpendiculaire et le niveau
La baigneuse vêtue ou le temps suspendu
Femme et artiste
Toi et moi
Aphrodite enceinte
Vertiges de l'abîme
Les sentinelles de la fraternité
L'image revendiquée
La couvade d’un dieu
Une culture occulte et occultée
L’origine de l’être
Un sexe équivoque
La figure réversible
Consistance de l’intervalle
Du désir de soi
La culture souterraine
De l’art du vide
La putain respectueuse
Jésus croyait au diable
L'esprit du pinceau
Aller retour
2D ou 3D ?
par Christophe Genin
Un œuf sur une place publique ou une mosaïque d’électronique ?
Cette sculpture, installée sur la place la plus fréquentée de Palo Alto, est une allégorie de la ville californienne. L’œuf, composé d’un agglomérat de cartes mères, est la métaphore de la naissance de l’industrie de l’électronique et de l’informatique à Palo Alto, « birth place » de la Silicone Valley. Cette œuvre participe donc d’une première prise de conscience d’une histoire récente. Elle célèbre une réussite technologique collective, se donnant comme le mémorial d’une genèse. Vue ainsi, l’image est quelconque puisqu’elle repose sur une association d’idées banale entre l’œuf et l’idée de naissance.
En outre, à première vue « Digital DNA » (ADN numérique) est une œuvre plus visuelle que sculpturale. En effet, les circuits imprimés – cet ADN de tout automate électronique – forment un patchwork de plaques aux couleurs, aux formes et aux formats variés. À l’impression de bigarrure globale succède, quand on approche de l’œuvre, un effet de surprise quand on découvre les matériaux recouvrant l’œuf ou le décorant. Enfin l’ensemble paraît relever d’un trait d’esprit quand on en saisit les phrases égrenées : « circuits aléatoires », « circuits imaginaires », « circuits d’illusion », « circuits colonisateurs ». Ainsi la sculpture se donne à voir, et même à lire avec des inscriptions polyglottes (allemand, anglais, arabe, espagnol, français, hébreu, italien, russe).
Qu’y a-t-il donc de sculptural dans une telle pièce qui s’apprécie, non par son déploiement dans l’espace ni par un volume habité, mais par sa plastique en deux dimensions ?
À la manière des Nouveaux Réalistes, cette œuvre récupère des déchets de la société industrielle pour tirer d’une telle décomposition les matériaux d’une reconstruction. Mais il n’y a ici aucun détournement critique, puisque l’œuvre, à l’inverse, célèbre le triomphe d’une technologie planétaire. Dès lors cet œuf désigne moins la genèse des industries du futur que le globe terrestre uniformément globalisé par une technologie globalisatrice. Métaphore d’un succès scientifique et technique, il est aussi l’image de notre monde vivant au temps des appareils et des dispositifs qui l’exploitent et l’ordonnent avec méthode. Ces circuits imprimés, aussi plats que des tableaux, à peine mis en relief par les brasures et quelques rivets, finissent par tramer un réseau de connexions qui définit un volume d’échanges en tous sens. Il s’agit bien de circuits dont nous devons faire le tour.
Ainsi Varella et Walz ne partent pas d’un volume préexistant qu’ils sculpteraient à la mesure d’un motif ou d’un espace à faire paraître ni d’une torsion de la matière induisant un champ de déploiement. Inversement, en filant la métaphore du circuit, la circulation des « impressions » – objectives et subjectives -, glissant d’un point du monde à l’autre, revient sur elle-même, induisant un volume à la mesure de la circumambulation du spectateur.
Le caractère sculptural de l’œuvre émerge ainsi de cette globalité en boucle, qui fait système.
Auteur : Christophe Genin