Femme et artiste
par Christophe Genin
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
La perpendiculaire et le niveau
La baigneuse vêtue ou le temps suspendu
Toi et moi
Aphrodite enceinte
Vertiges de l'abîme
Les sentinelles de la fraternité
L'image revendiquée
La couvade d’un dieu
Une culture occulte et occultée
L’origine de l’être
Un sexe équivoque
2D ou 3D ?
La figure réversible
Consistance de l’intervalle
Du désir de soi
La culture souterraine
De l’art du vide
La putain respectueuse
Jésus croyait au diable
L'esprit du pinceau
Aller retour
Femme et artiste
par Christophe Genin
De prime abord Les attributs de la peinture, de la sculpture et de l’architecture est une oeuvre de circonstance: le morceau de réception à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture présenté par Anne Vallayer, âgée de vingt-cinq ans quand elle y postule en 1770. Elle rivalise avec le maître d’alors : [simple_tooltip content=’Les tableaux présentés au jury, Les attributs des Arts et Les attributs de la musique, font pendant aux œuvres de Chardin présentées à l’Académie en 1765, portant les mêmes titres et représentant les mêmes accessoires disposés dans un ordre très proche.’]Chardin[/simple_tooltip]. Par-delà l’hommage convenu à une institution cette peinture se veut la manifestation de l’instant créatif et affirme la place féminine dans la création. Peindre consiste ici à réparer une injustice: proclamer le sérieux d’un métier, définitivement hissé au rang d’art libéral, et la dignité d’une féminité.
Dès le premier plan, l’architecture est signifiée non par le bâtiment construit mais par ses conditions d’élaboration et ses instruments de conception : des livres indiquant que l’architecture est un art libéral puisque la géométrie la régit. D’où ces outils qui servent à mesurer (compas à pointes sèches, rapporteur, règle) ou à tracer (tire-ligne, tau en bois enfoui sous les rouleaux). L’équerre dite pythagoricienne (à branches inégales) symbolise le théorème fameux. Nous ne sommes donc pas sur le chantier, mais au bureau d’études. D’où le rôle du porte-crayon à double pointe, de la craie blanche servant à rehausser, pour ne rien dire de la sanguine.. Nous sommes en deçà de l’allégorie, au niveau de l’usage et des de procédures opératoires. Anne Vallayer ne fut point architecte – métier réservé aux hommes- mais en peignant ces attributs, elle s’inscrit dans une tradition de dessinateurs intellectualistes, de Brunelleschi à Boulée. Cela importe puisque, fille d’orfèvre qui passa son enfance aux Gobelins, elle marque ici une forme d’ascension sociale en passant des arts décoratifs aux arts libéraux.
La peinture, au second plan est figurée par divers accessoires : la palette (comme à peine reposée) , le couteau taché de la pâte qu’il vient d’étaler, les pinceaux encore lustrés de peinture fraîche. La palette est vive de couleurs aux pigments lumineux : blanc de plomb, jaune de Naples, ocre jaune, bleu de Prusse etc., des mélanges sont ébauchés : jaune-orangé, rose. Mais il semble bien que le tableau soit fini. En cet instant regard critique où le peintre se juge. De l’architecture et de la sculpture nous avons un résultat : les plans et le buste d’argile. Mais quelle est l’oeuvre peinte? Ce tableau même ! En effet, la palette peinte dans ces Attributs est celle qu’e l’artiste vient d’utiliser. Auto représentative l’œuvre est le manifeste même de son art, au double sens du talent et des procédures opératoires. La peinture vérace exhibe ses procédures de fabrication, de sorte qu’elle désigne l’illusion qu’elle produit !
Plus en arrière se tient la sculpture. D’abord un moulage : c’est le Torse du Belvédère. Ce plâtre confirme que le peintre suit les principes esthétiques de Le Brun. Cet emblème référant aux règles des plastiques joue sur plusieurs plans. C’est un nu masculin « héroïque ». Or Vallayer, comme ses consœurs peintres, était réduite aux genres mineurs comme la nature morte, puisque la peinture d’histoire supposait qu’on pût croquer des modèles masculins nus, activité alors interdite aux femmes. Qu’une femme représente un tel nu est donc ici une revendication égalitaire. Ce faisant, Anne va plus loin : elle stigmatise les préjugés qui président à l’élaboration des œuvres, les femmes devant en rester à une peinture de femmes. Ici féminité rime avec modernité.
Un buste de femme surplombe ce torse antique. Cette seconde sculpture a un tout autre statut. Le torse était un cas d’école, une méchante copie pour copieurs. En revanche ce buste d’argile verte signifie la vie d’atelier. Ici encore nous sommes à l’instant décisif où le sculpteur laisse ses spatules et ébauchoirs pour accomplir l’œuvre, dans le présent de l’art en cours, non dans la répétition du passé. Aussi, ce buste fait-il pendant au Torse. Il est moderne, et fait à la manière des Modernes. La femme n’incline pas la tête vers le bas, telle une Vénus pudique ou une Diane hautaine, mais vers le haut. Vallayer ne figure pas une femme flétrie de douleur selon le cliché de la faible femme. Car ce visage est serein et pensif. Est-ce une allégorie des arts, une Muse représentée selon le goût en vogue, dans le style de la Pompadour ou de la du Barry, avec cette mèche qui vrille sur l’épaule droite, ou un portrait? Au vu des deux portraits connus de [simple_tooltip content=’F. Dumont, Portrait d’Anne Vallayer, 1769, aquarelle; A.Roslin, Portrait d’Anne Vallayer-Coster, 1783, huile sur toile, collection particulière.’]Vallayer [/simple_tooltip], ce buste a les traits de la femme peintre.
Voilà donc un autoportrait caché qui change le sens de l’œuvre : une femme s’expose comme femme et artiste de son temps. La sculpture citée n’est plus celle d’un pair, mais la présence en personne de l’artiste dans son œuvre. Ce portrait, grandeur nature, relègue le torse antique au magasin des accessoires! L’interdit du nu masculin importe peu finalement, puisqu’une femme peut être à elle-même son propre sujet. Anne Vallayer est une femme des Lumières.
Auteur : Christophe Genin