Rhuys, une peinture grande comme une touche
par Alain Bouaziz
BIOGRAPHIE
Rhuys, une peinture grande comme une touche
par Alain Bouaziz
«Est-ce la mer qui arrive sur la côte? Ou est-ce la côte qui arrive sur la mer? Est-ce la terre qui interrompt la masse de l’eau, ou l’eau qui limite la terre?»
Marie Darrieussecq
Comme ces lignes, les petits tableaux que Geneviève Asse peints à de multiples occasions, laissent transparaître une impression d’image incertaine en même temps que l’exercice délicat de la «note visuelle», ou celle du carnet de croquis. Sommes-nous devant des «instantanés» ou devant un arrêt sur image ?
Geneviève Asse a brossé nombre de toiles de petites dimensions, dont la modestie même demande paradoxalement une grande attention. Avec ces formats réduits, où la touche est animée de mouvements imperceptibles, on songe à ces micro- fictions affectionnées par certains écrivains contemporains (Sarraute..). Quoi qu’il en soit, l’analogie de l’image avec l’univers familier des paysages côtiers n’est pas une coïncidence : Rhuys est le nom que porte une presqu’île de la région vannetaise où l’artiste a passé son enfance. image rémanente ?
Il y a donc cette toile qu’on sait de petites dimensions, mais qui paraît en receler d’autres. Outre son allure de marine, Rhuys est d’abord une toile emblématique de la production de l’artiste. On pense au style général qui fait l’art particulier de Geneviève Asse : une dominante colorée bleue – un quasi logotype- , au point qu’on parle d’un bleu Asse, comme on parlerait d’un bleu Klein, d’un bleu Monory, voire d’un bleu Matisse. Mais, il y a bien plus dans les compositions dépouillées du peintre, réduites à ceci qu’une ligne, à peine brossée ou finement dessinée (rarement plus), traverse « régulièrement » le support sur l’un de ses axes. Parfois, la ligne devient surface, qui se rapproche alors du spectateur. Et les pans bleus de fondre au-delà des bords. Ebauche de quelque chose ? A l’instar du travail pictural d’où il procède, le tableau devient évanescent…
Avec Rhuys , le centre de la toile suggère une ouverture, qui renoue avec l’antique procédé de la peinture dans la peinture. En ce «bord de mer» redoublé en lui-même, le regard s’abîme vers un autre fond où se dit peut-être l’amnésie de toute préoccupation extérieure à l’art. «Gigantesque microcosme» où le spectateur ne peut que perdre ses repères. Rhuys nous montre comment la matière picturale et la manière avec laquelle elle est traitée font sens.
Les zones peintes ne se révèlent ni homogènes, ni monochromes, les lignes qui les rapprochent (ou qui les réunissent) sont animées de nombreux accidents, qui sont autant d’indices sur l’incertain traitement du support. En regardant Rhuys de près, le phénomène est particulièrement sensible le long des limites qui dessinent le bords des surfaces peintes. L’appui momentané, le frôlement, l’idée de couvrir et celle d’enlever, le fait de déposer ou de retenir les pigments, la précision des niveaux d’opacité vibrent intérieurement d’une intensité colorée à nulle autre pareille. Les dégradés semblent étudiés pour produire des états fictifs où l’œuvre comme le regard a pu se tendre.
Le tableau suppose une présence que la «maigreur» esthétique des techniques employées aussi bien linéaires que chromatiques rend lacunaire. Devant le temps qui s’impose discrètement, l’œuvre semble provisoire, comme le travail qui l’a fait naître. On pense au peintre des Ménines qui, retenant son geste, témoignait pourtant d’une extrême attention sur ce «qui le regardait». On songe, encore, à Michel Collot, spécialiste du paysage littéraire, disant (1) : «La relation du corps à un horizon poétique constitue l’axe d’une véritable organisation plastique qui repose sur d’autres couplages catégoriels, comme ceux du vertical et de l’horizontal, du dedans et du dehors, de l’englobé et de l’englobant…»? Il y a dans Rhuys une sorte de sémiologie des formes méditatives ou métaphoriques du paysage fictif.
Auteur : Alain Bouaziz