La main du peintre
par Déborah Heissler
BIOGRAPHIE
La main du peintre
par Déborah Heissler
« Signes
non de toit, de tunique ou de palais
non d’archives et de dictionnaire du savoir
mais de torsion, de violence, de bousculement
mais d’envie cinétique »
Henri Michaux, Mouvements
Lieu de conversion, point de rencontre où se trouvent les contraires déterminant à leur tour le centre de chaque composition, ce triptyque du peintre franco-chinois Zao Wou-Ki fait l’objet d’une approche précautionneuse du paysage, qui rend visible tout ce qui à la périphérie de la représentation pure et simple, fait écran et marque ainsi une rupture dans l’expérience de la remémoration, de la vision, mettant d’emblée en relation le désordre des « bariolages » de la nature avec l’abstraction de la peinture moderne où le réalisme, éclaté, brisé, et le choix conscient de cet éclatement, restent profondément lié à la question du sens, de la déstabilisation du sens et de la représentation.
On commence par distinguer un motif végétal baigné dans une lumière crépusculaire, pour finalement glisser sur une impression de soleil levant dans la dernière partie du triptyque. Tout se passe dans cette composition, comme si le désir du sens prenait corps en se donnant à lire une seconde fois, la métaphore de la texture restant susceptible de figurer, de gauche à droite, la naissance du tableau – un point d’extrême densité où les contraires s’entrecroisent selon des modes divers d’échanges et de renversements, organisant les distances du texte et laissant deviner, par là, ce qui l’excède.
Le traitement du paysage y traduit de manière explicite cet empiétement réciproque du visible et de l’invisible, prégnants l’un et l’autre, qui en faisant lever des figures de l’infigurable, confronte également le lecteur au langage et à son explosion.
Là où la description ne faisait qu’altérer le chant du réel, parce qu’elle n’intéresse que ses qualités, là aussi, où il faudrait faire sentir un espace qui nous est devenu presque inconnu, ou bien une voix, inaudible, la terre n’apparaît plus comme un tableau seulement, fait de surfaces, de masses, de couleurs, ni comme un théâtre où les choses auraient été engagées pour figurer un paysage simplement, une marine à droite de la composition.
Le paysage, ici, appartient aux motifs récurrents d’une œuvre où le langage se conforme non seulement à l’élémentaire, dans le jeu passionné de l’ombre et de la lumière, des formes avec l’informe, mais également sollicite l’univers cinétique du mouvement, de la main, du geste. Il semble par ailleurs que celui-ci ne puisse mieux se dire que dans la synecdoque de la « [celle qui] explore le dehors, le palpe et en reçoit les messages les plus directs. Organe du toucher dans ce qu’il peut avoir de passif et d’actif, “elle préside, comme le souligne Jean Brun, aux opérations par lesquelles l’homme saisit, donne, reçoit ou échange”. Touchante et touchée, prenante et prise, bref insaisissable en son lieu propre, Auteur : Déborah Heissler