Rapprochement Ou Une image de synthèse
par Maximilien de Zarobe
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
Le rire de Démocrite
Rapprochement Ou Une image de synthèse
par Maximilien de Zarobe
La scène se situe à la fin du printemps 1625. La ville de Breda retourne dans le camp espagnol. En dépit des apparences Ambrosio da Spinola, à notre droite, et Justijn van Nassau, à notre gauche, ne fraternisent pas. Il s’agit, au contraire, d’une capitulation qui marque l’issue de dix mois de siège dont l’âpreté des combats se devine à l’arrière-plan.
Nassau a franchi à pied les derniers mètres qui le séparaient du vainqueur… Au centre de la composition, Justijn remet les clés de la ville à Ambrosio, mais, curieusement, ce dernier semble n’en faire aucun cas. L’apparente affabilité d’Ambrosio, ses égards (le chapeau bas), donnent à croire qu’il s’agit plus d’une rencontre entre gens du monde que d’une reddition. N’y cherchons pas une marque de grandeur de la part d’Ambrosio, car aux yeux des Espagnols du Siècle d’Or, les Génois en sont dépourvus.
Mais lorsque Philippe IV commande Las Lanzas une dizaine d’années se sont écoulées depuis la prise de Breda. Les circonstances ont changé. Exsangue, l’Espagne a tempéré ses ambitions ; la guerre ouverte a cédé la place à la diplomatie. S’il faut chanter la gloire du roi, le peintre, fin courtisan, sait qu’il n’est plus l’heure de le faire aux dépens des ennemis de la Couronne. Pour leur épargner une humiliation excessive, Velázquez brosse une tout autre scène que ce qu’en bon peintre d’histoire il est censé montrer. L’artiste n’en perd pas moins pas son objectif, glorifier le règne.
Las Lanzas est un titre qui fait référence à la herse qui barre l’horizon à notre droite. Cette dernière dit la force, sans pour autant priver le spectateur d’admirer le paysage sur la gauche. Il est clair qu’il ne peut s’agir des Pays Bas. Ce serait faire insulte au peintre de croire que c’est par ignorance qu’il a planté des collines autour de Breda. Cette erreur manifeste est un choix délibéré. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer attentivement les yeux du mousquetaire, arme à l’épaule, au premier plan. Son regard est pratiquement à la même hauteur que le nôtre. Selon toute vraisemblance, l’horizon de l’homme doit correspondre à celui du spectateur. Or, ce n’est pas le cas. En vérité, Velázquez use ici d’un subterfuge communément employé á l’époque.
On observe que le point de vue du peintre s’élève graduellement à mesure qu’on passe de l’avant-plan à l’arrière-plan. S’appuyant sur une pente inventée de toutes pièces, l’artiste incorpore dans sa composition deux perspectives distinctes sans rupture apparente. Le plan serré de l’avant, vu de face, se fond graduellement dans le paysage à l’arrière plan, en vue plongeante. Le plan intermédiaire faisant transition est plus suggéré qu’instauré. Velazquez met en scène la reddition devant une toile de fond figurant littéralement le « théâtre des opérations ». Imperceptiblement, le maître Sévillan intègre un encadré dans un panorama. Et, plutôt que de malmener les lois de la perspective, il les soumet à son propos pour tisser une spectaculaire mise en abîme du dénouement dans le déroulement. Temps et espace sont abolis, c’est à proprement parler une image de synthèse.
Faute d’avoir été sur place, les sources visuelles de Diego sont les gravures, notamment celles de Jacques Callot qui illustrent le siège peu après l’événement.
Ce dernier use de la perspective plongeante pour situer sur le terrain l’ensemble des hauts faits qui ont marqué la bataille. Adroitement, Velázquez s’inspire de ce témoignage de première main pour son arrière-plan se ménageant l’avant scène pour figurer la rencontre des protagonistes. Sur le devant de la gravure de Callot, des chevaux foulent un talus. Il s’agit en vérité d’une clé de lecture, soit une légende employée par convention dans les documents topographiques de l’époque. Elle signifie au lecteur qu’il est en présence d’une perspective cavalière.
Velázquez nous le rappelle en plaçant la croupe luisante du cheval au premier plan. Au-delà de cet effet baroque, il fait ressurgir l’un des sujets premiers de l’art : la rencontre ou la conjonction. On peut tenir, en effet, que l’acte même de peindre a souvent consisté à enchaîner dans le même cadre l’image de ce qui, jusque là, « ne tenait pas ensemble » : l’avers et le revers, le peintre et le modèle, l’instant et le cycle, etc. Velázquez anime ici suprématie et miséricorde, d’une tension convergente. Peindre, de ce point de vue, revient à combler un manque qui grève nos existences. Aussi apporter la paix devient non seulement une fin, mais plus encore l’occasion picturale par excellence.
Auteur : Maximilien de Zarobe