Le plongeur de Bruno Réquillart
par Yannick Vigouroux
BIOGRAPHIE
Le plongeur de Bruno Réquillart
par Yannick Vigouroux
Image emblématique de l’œuvre de Bruno Réquillart, souvent exposée et publiée, Le Plongeur (1974) représente une réussite formelle indéniable : rarement un pur instantané aura autant ressemblé à une construction géométrique. Le photographe est alors en vacances sur une île de l’ex-Yougoslavie, l’île de Unije, aujourd’hui située en Croatie. Bien que l’image ait été prise sur le vif – sur la planche-contact on peut découvrir la jetée vide, l’homme se préparant à plonger – la composition est parfaite. L’image se divise en effet en trois parties : le ciel orageux occupe toute la moitié supérieure tandis que le muret et la mer se partagent à égalité la partie inférieure de l’image. Pour mieux souligner ce qui a parfois été comparé à un « collage », Réquillart a parfaitement aligné les deux éléments qui se rejoignent précisément au centre de l’image. Le grain de la photographie, fortement prononcé, offre une « texture » pointilliste d’une grande sensualité. L’auteur utilisait alors une pellicule Kodak d’une sensibilité 1600 Asa qui explique l’importance de celui-ci.
Figure majeure de ce qui fut nommé parfois l’ « Atelier français » des années 1970-80 (dont firent partie notamment Bernard Plossu, Arnaud Claass, Magdi Senadgi, etc.), Réquillart fut défendu à l’époque par le conservateur de la Bibliothèque nationale (Département des estampes et de la photographie) Jean-Claude Lemagny et par le critique Bernard Lamarche-Vadel. À l’exemple de ses compatriotes, le photographe a été fortement influencé par le Suisse Robert Frank et les Américains Lee Friedlander et Garry Winogrand. Comme eux, il s’est engagé dans la voie d’un reportage subjectif dégagé de tout souci de commande : désormais la place de leurs instantanés de l’intime ne serait plus dans les journaux, mais sur les cimaises des musées et des galeries qui commencent alors à peine à se vouer à la photographie (la première galerie photo, celle d’Agathe Gaillard, ouvre à cette époque à Paris). Véritable œuvre-manifeste, Le Plongeur propose ainsi, dans son efficacité visuelle et sa forte charge expressive, une plongée dans les enjeux formels de cette époque, une subjectivité revendiquée, sinon l’inconscient technologique de la photographie.
Bruno Réquillart, qui avait arrêté la photographie et s’était consacré à la peinture dans les années 1980, a réalisé de nouvelles prises de vue dès le milieu des années 1990, dans un esprit qui est le prolongement naturel de sa production passée. Son œuvre, quelque peu oubliée aujourd’hui, mérite indéniablement une réévaluation critique. Dans ses nouvelles images, il a offert un second souffle à des expérimentations formelles qui restent d’actualité, comme en témoignent par exemple les photographies d’auteurs de l’agence Vu tels que Michael Ackerman ou Antoine d’Agata, ainsi que, d’une manière générale, les tenants d’une photo pauvre restée fidèle à l’instantané.
Auteur : Yannick Vigouroux