Dans les ténèbres de l’Enfer
par Janine Berns
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
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par Janine Berns
Et moi à lui : « Avec tes pleurs et ta peine, Esprit maudit, reste où tu es, Car je te connais, bien que fangeux tu sois. ». Alors il tendit ses deux mains sur la barque Ce pourquoi le maître attentif le repoussa Disant : « Va-t-en là-bas avec les autres chiens ! ».
Enfer, VIII, 37-42
Le Dante et Virgile, c’est le début éclatant d’Eugène Delacroix au Salon de 1822. La scène peinte a été empruntée à la première partie de La Divine Comédie de Dante : L’Enfer. Le tableau représente « le cinquième cercle », là où se trouvent les coléreux. Delacroix espérait se faire connaître auprès du grand public par ce grand tableau, achevé en deux mois seulement. Vu par Delacroix, le monde infernal et son cortège de souffrances marque les esprits habitués au classicisme. On admire ou on dénigre l’artiste, c’est selon ; mais chacun est touché.
Dans la barque se trouvent Dante, coiffé de son bonnet rouge, son guide Virgile à côté de lui, et Phlégias, le barreur. Dans le Styx s’agitent les damnés. Phlégias ayant « le dos tourné, ce sont Dante et Virgile qui sont mis en exergue. Dante essaie de se prémunir contre la vue des morts en levant une main. De l’autre, il agrippe celle de Virgile pour s’assurer de sa protection et retrouver son équilibre. Le poète italien a l’air horrifié ; tout autre est le poète latin, avec sa couronne de lauriers. Son visage, au centre de la toile, se montre rassurant et tranquille. Si Dante chancelle, Virgile, exemple de stoïcisme dans toute La Divine Comédie, a été campé par l’artiste ferme comme un mât. Les âmes des damnés tentent de se hisser à bord. Déjà, l’une d’elles menace Phlégias, dont les muscles saillants indiquent la force. Sur leurs visages se lit la douleur des tourments endurés dans les eaux du Styx. L’assaut est féroce : l’un des malheureux s’appuie du pied sur le ventre d’un autre. C’est le chacun pour soi. Le personnage repoussé par Phlégias a les yeux rouges, les stigmates de la folie marquent le visage de tel ou tel. Ainsi, le malheureux, à l’extrême gauche, mord-t-il férocement le bois du bateau. Le cinquième cercle de l’Enfer porte bien son nom. Une « âme », exsangue, flotte sur le dos, accrochée à la barque ; elle a le relâché des christ « « affalés » descendus de la croix ou des rescapés morts-vivants du Radeau de la Méduse. Le déséquilibre de Dante, les vagues et la lutte des morts impriment sa dynamique au tableau.
La palette de Delacroix brille d’éclats assourdis : le rouge du bonnet de Dante, le vert pâle de son habit, le bleu du vêtement de Phlégias, le brun foncé de l’ample toge de Virgile. A l’arrière-plan, nous distinguons la ville rougeoyante de Dité, vers où le nocher mène Dante et son compagnon. Nous n’ apercevons que les contours de la ville infernale, estompés par la fumée des incendies. « L’obscure clarté » du romantisme noir qualifie ce tableau.
Auteur : Janine Berns
Sources :
Alighieri, Dante, La Divine Comédie, Les Editions du Cerf, Paris, 2001.
Gauthier, Maximilien, Delacroix, Larousse, Paris, 1963.