Un éloge ambigu
par Anaïs Perrin
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
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par Anaïs Perrin
Attribuée à un peintre anonyme issu de l’Ecole de Fontainebleau, cette toile passe pour être un portrait de Diane de Poitiers, identification qui lui donnerait son sens profond. L’œuvre se situe dans la lignée du portrait allégorique, où la courtisane se confond avec l’antique déesse chasseresse. Celle-ci est figurée nue, debout au milieu des bois. On reconnaît ses attributs: l’arc, le carquois, le chien de chasse, et le croissant de lune qui orne sa coiffure.
En réalité, la représentation, au prime abord figée et stéréotypée, est prétexte à louer les charmes et la grâce de la veuve de Louis de Brézé, alors maîtresse d’Henri II. Celui-ci, marié avec Catherine de Médicis en 1533, maintint jusqu’à sa mort accidentelle en 1559 la relation scandaleuse qui l’unit avec celle qui fut chargée de son éducation alors qu’il n’était qu’un jeune homme, malgré leur différence d’âge – vingt ans.
S’agit-il d’une commande royale ? Quoi qu’il en soit, ce portrait peut être vu comme un éloge tendant à « réhabiliter » la célèbre courtisane, car rapprocher Diane de Poitiers et Diane la chasseresse, c’est amender la maîtresse en déesse. Il fallait oser. Ne devient-elle pas, de ce fait, l’égale du roi, représentant de Dieu sur Terre dans une monarchie de droit divin ? Sans parler de l’évocation antique et païenne qui gomme habilement que, pour un chrétien, l’adultère est péché mortel. Car Diane est la déesse chaste par excellence. D’un coup de pinceau virtuose, la pécheresse – maîtresse d’un homme marié – retrouve sa virginité, et Diane voit son sexe lavé de la faute. L’artiste renforce cette idée de pureté en représentant la jeune femme dans une posture empreinte de retenue, qui évoque une antique Venus pudica: le bras droit délicatement replié sur la poitrine, l’autre dissimulant son pubis. À noter qu’ici, la main gauche tient un arc. Emblème de la déesse, on peut également y voir l’arc de l’Amour, qui décoche les flèches de la passion. Après tout, Diane sut enflammer Henri II.
L’artiste maîtrise le rendu des matières et des couleurs. Le traitement maniériste des drapés, loin de voiler le corps élancé, nous le révèle tout en courbes et renforce son éclat. Diane, ainsi incarnée, correspond parfaitement à l’idéal de beauté féminin tel qu’on le conçoit à l’époque : peau laiteuse, chevelure blonde, seins menus et haut placés, taille fine, hanches larges, ventre légèrement rebondi.
Ce tableau constitue, avant toute chose, un superbe portrait de femme, dans ce qu’elle a de plus charnel. Sous le vernis de la décence, Diane se fait tentatrice, le sourire mutin, le regard enjôleur. Sa chair rosée, que l’on devine douce et tendre, est une invite au toucher et à l’étreinte. Sa force, c’est son corps, ce corps qui occupe pleinement l’espace peint. Son sexe aussi, dont la toison invisible est indirectement évoquée par le sombre et abondant feuillage des arbres qui l’entourent. Le choix d’une représentation en pied nous permet de la contempler entièrement et de détailler sa nudité. Malgré cette distance, elle nous invite à sa suite : sa figure serpentine se détourne, nous laisse entrevoir la ligne de sa nuque et la courbe de son dos, délicatement érotiques. Elle fait mine de nous échapper pour mieux nous entraîner vers les profondeurs des bois … Pour elle, nous serions prêt à dévier du droit chemin. Elle nous conduit vers les abîmes de la passion, comme l’indique la déclivité du sol, soulignée par l’orientation de la flèche et de l’arc. Qui donc, bien que roi, pourrait résister?
Le lévrier blanc à ses côtés, s’il apparaît d’abord comme le compagnon du chasseur, dont la couleur renforce a priori l’idée de pureté, peut également être vu comme un symbole de luxure et de lubricité. Alors, Diane de Poitiers, dame de fer ou ensorceleuse ? Le peintre nous répond : « tout ça à la fois». Et l’histoire lui donne raison.
Auteur : Anaïs Perrin