Avant la mise au tombeau
par Claire Léman
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
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par Claire Léman
Le châle de Marie-Madeleine masque la nudité du Christ, mais, ce faisant, rattache encore la femme à celui dont elle fut, dit-on, éprise. Etrangement ce Christ semble animé d’un dernier souffle de vie : sa bouche est entr’ouverte et ses yeux ne sont qu’à demi clos. Le peintre a figé le Fils de l’ Homme comme trépassé, mais pas encore comme cadavre. Seuls, une légère entaille au côté, quelques gouttes de sang séché sur le front, et la marque du clou sur le dos de la main droite attestent de la Crucifixion.
La douleur démonstrative de Marie-Madeleine a quelque chose, ici, de déplacé, où transpire impudiquement l’amour qu’elle avait pour Jésus. Le voile, noir et transparent, ajoute à la sensualité du corsage décolleté de la jeune femme et accentue l’ampleur de la chevelure rousse, dont la note de couleur avive un tant soit peu la tonalité blême de l’ensemble. Sous le tulle, la main gauche de l’ancienne pécheresse s’est figée dans une sorte de noli me tangere avant la [simple_tooltip content=’« Ne me touche pas » paroles prononcées par Jésus, Jean 20.’]lettre[/simple_tooltip]. Comme le deuil lui va bien.
Quand on sait que Böcklin avait envisagé , dans ses nombreux dessins du Christ au Tombeau de faire figurer plusieurs personnages penchés sur la dépouille du Christ, on saisit ce que son tableau recèle d’intimité. La Vierge, ni Jean n’ont été convoqués. Il y a de la veuve dans cette femme éplorée.
Peinte en deux mois et demi, pendant l’automne de l’année 1867, cette huile accuse une dimension narrative exacerbée, à mille lieues de la retenue des codes classiques, pourtant parfois fort démonstratifs – on se souvient du groupe des femmes du Brutus de David. En un mot ce tableau d’ histoire est presque traité à la manière d ‘une scène de genre. Pas de transcendance, en tout cas, dans ce tableau, chrétien seulement d’apparence. Le message évangélique en effet pâlit au profit d’une vision quasi païenne où la mort et la douleur ne sont dites que pour elles-mêmes., nullement comme le « moment noir » qui sépare la Passion de la Résurrection.
Au delà du pathos, la scène laisse subodorer l’atmosphère crépusculaire dans laquelle baigna une bonne partie de la vie de l’artiste : mort de sa première fiancée et de huit de ses quatorze enfants. A ces disparitions s’ajoutèrent la mort d’amis, la guerre, la maladie. On notera pour conclure que Marie Madeleine pleurant le Christ mort est une toile où Bocklin rejoint d’évidence Dürer son maître, à ceci près que l’œuvre du peintre symboliste n’a pas la vertu des Leçons des ténèbres de la spiritualité baroque.
Auteur : Claire Léman