L’ire et la fable
par Françoise Julien-Casanova
BIOGRAPHIE
PAR LE MêME AUTEUR
Orientales
L’ire et la fable
par Françoise Julien-Casanova
L’histoire de la volcanique Armide, délaissée par Renaud, fournit l’argument de cet histoire. Un palais achève de s’écrouler sous les assauts d’une chimère monstrueuse, pilotée par une Furie vindicative, au visage convulsé de colère. Le dragon hybride est une créature composite dont les mamelles, cependant, disent le sexe : la Bête est incarnation du Malin, qui sait aussi se faire femelle.
L’attaque a frappé au cœur du bâtiment : ne subsistent plus, livrés au chaos, que les débris d’un décor grandiose. Souvenirs d’un temps que l’amoureuse dépitée veut abolir, effacer : Renaud l’a quittée, il a su triompher des sortilèges qui avaient provoqué son envoûtement. Après lui, plus rien : tabula rasa où libre cours est laissé au ressentiment et au déchaînement de la violence. La Magicienne se venge sur ce qui ne lui résiste pas : la pierre et les murs.
La créature monstrueuse, planant dans le vide central, au cœur des décombres, menace encore : derrière elle un rayon lumineux traverse l’espace, dont les zigzags sécateurs s’abattent sur les ruines. Le rayon destructeur, double de l’éclair et de la foudre, est ici commandé par l’héroïne qui a passé alliance avec les forces malfaisantes : les démons appelés à la rescousse ne sont pas en reste. Pour faire bonne mesure, toute une population de putti aux poses affectées, s’agite affolée. La charge fut soudaine, elle les a surpris. Quant aux démons – carrures masculines mais fessiers coquins – , ils s’affairent à leur tâche de démantèlement, avec des faciès plus carnavalesques que véritablement effrayants : le naturel n’est pas ce qui domine chez Coypel
La vaste composition, surchargée de détails, obéit aux lois du style dit » théâtral » dont Coypel fut un fervent adepte. Auteur dramatique lui-même, il fut toutefois contraint, face à une critique peu louangeuse, d’abandonner en 1732 sa carrière littéraire. Par la suite, il tenta de réunir les » deux arts frères « , la peinture et le théâtre.
Dans le poème épique d’où le peintre tire son sujet, la rage d’Armide est le fruit d’une authentique passion, d’autant plus tragique qu’elle est éprouvée par un être ignorant tout des sentiments humains. Conséquence de la théâtralisation du récit, et à l’égal des excès de la magicienne, cette passion devient ici l’objet d’une démonstration scénique tumultueuse, où l’expressivité grandiloquente rivalise avec une débauche de traits quasi-comiques et caricaturaux… Au vrai, sous ce pathos pittoresque, la mise en scène s’avère rudimentaire : au centre la fureur, de part et d’autre les saccages qui l’accompagnent. L’esthétique de la peinture appliquée à la tapisserie, et qui oscille, sur ce carton, entre théâtre et storia lirica, renforce la confusion des genres.
Voici comment, en 1737, passés Watteau et son univers poétique, un peintre reconnu, académicien issu d’une généalogie d’académiciens éminents, exalte encore une » fable hautement morale « . La fin de la peinture d’histoire s’annonce.
Auteur : Françoise Julien-Casanova